-Dites commissaire, y a un truc qui m’taraude.
-Quoi encore Fernand ?
-Si l’intelligence est artificielle, ça veut donc dire que la connerie est bien réelle, alors ?
-Bon Fernand, vous me l’ouvrez cette porte où faudra poireauter jusqu’à la Saint
Glinglin ?
-Ça va, ça va, moi j’disais ça histoire de mettre un peu d’ambiance parce que j’vous sens maussade. Et mon flair infaillible me dit que ça va pas être joli joli ce qu’on va trouver derrière.
-Ouais c’est vrai qu’ça schlingue, c’est bien pour ça qu’on est là. Vous avez sonné
au moins ?
-Pas besoin c’est déjà ouvert !
72 ou 75 ans environ. L’homme était assis à la terrasse du café, le soleil orangé du soir éclairant en pleine face son visage taillé au burin, le forçant à cligner ses yeux bleus. Une veste treillis, un bermuda découvrant des mollets noueux comme des ceps de vignes, laissait apparaitre un entrelacs de veines violettes et gonflées. Il marmonnait des mots qu’il se répétait à lui-même tout en griffonnant des signes illisibles au moyen de son index pointé au creux de sa main.
A l’issue d’une demi-heure d’une gestuelle s’apparentant à une chimérique tenue de comptes de bilans, il se leva, bût le reste de son expresso devenu froid et paya.
Environ 200 mètres parcourus, il sortit une clé de sa poche et pénétra dans un immeuble décrépi, dont il fit craquer l’escalier pour atteindre le troisième étage où il demeurait.
Un mois plus tard, un serrurier accompagné d’un commissaire de police ouvrit péniblement la porte de son appartement tant il y avait de dossiers, de livres empilés, de magazines, de journaux, de boîtes de toutes sortes contenant des bagues, des broches, quelques montres, des colliers, des mouchoirs parfumés, des rouges à lèvres, des lettres…obstruant le passage de l’entrée et de toutes les circulations de l’appartement. Il y en avait partout du sol au plafond, jusque dans la cuisine !
L’odeur des lieux les prit à la gorge. La vision de ce corps de douleur, affreusement maigre, affaissé dans un fauteuil les saisit au cœur.
Les premières constatations faites, chacun s’interrogea. Quelle avait été la vie de cet homme pour finir ainsi ? L’explication se trouverait probablement dans les monceaux d’archives compulsivement accumulées dont il s’entoura. Le frigo était vide. L’homme n’avait probablement pas mangé les 2 semaines précédant sa mort.
Une suite de 1 et de 0 magnétiquement inscrits à la vitesse de l’électron ; une façon de décrire le premier rapport de police de l’intervention au domicile du dénommé David Bensard, que le commissaire rédigeait sur son ordinateur, lorsqu’icelui décida de planter alors qu’il en avait pratiquement terminé de la vie et de la mort du susnommé.
Décidément le gonze Bensard ne semblait pas vouloir finir dans un classement standard, à l’image de l’inventaire de l’appartement qu’il occupait.
Connerie numérique bien réelle lorsque l’on pense que certains manuscrits médiévaux datant de plus de neuf siècles[1] nous sont parvenus dans un excellent état de conservation.
Ça c’est de la haute technologie durable, pensa le commissaire l’air déconfit…
[1] En 2018, un manuscrit datant du début du XIe siècle sur parchemin en langue syriaque a été découvert et mis en ligne sur Bibliothèques d’Orient