«La vérité d’un homme, c’est d’abord ce qu’il cache ». Cette citation d’André Malraux le tarabustait. Qu’est-ce qu’il cachait, lui, de sa vie qui était sa vérité ?
Il le savait bien. Ou du moins, pensait le savoir. Un degré d’authenticité avoisinant les 74,894% suffisait-il ? A l’évidence non, il allait devoir explorer plus avant. Gagner quelques points sur ce pourcentage afin de s’approcher au plus près de la certitude idéale, celle fondatrice de décisions, d’actes posés, d’expérimentations restreignant le hasard à une part infinitésimale, mathématiquement infime.
Mais surtout, qu’est-ce qu’il pourrait dévoiler comme vérité à son public, du roman de sa vie ?
Tout le monde ment ! Certains pour embellir la vie, d’autres pour la salir, d’autres par manque de courage. Lui-même ne se sentait pas très courageux. Oser dire !
Cela pouvait avoir des conséquences fâcheuses ! En dictature par exemple, on dit « opération militaire » et non « guerre » ! Tarif, 15 années de prison pour le récalcitrant.
Et, sans même parler de dictature, idem pour n’importe quel groupe humain !
Dans le collimateur celui qui dit à son N+1 qu’il n’arrivera pas à atteindre des objectifs de croissance de 4% supérieurs à ceux de l’année précédente, avec de tels délais, des moyens humains et techniques pareils ! Et en plus en baissant les coûts de production ! Impensable !
Crainte d’être incomprise celle qui osera parler de harcèlement moral à son DRH.
Ejectés ceux et celles qui auront refusé de suivre la doxa bien-pensante, les 63% de ceux et celles qui se conformeront à l’opinion ou l’action du groupe.[1]
Peut-être à son 15 -ème roman oserait-il la vérité.
Voire jamais…sinon en filigrane.
Oser dire !
En conséquence, pour-quoi écrire, pour qui, si c’est pour débiter les banalités de circonstance ?
Lui ressentait cela comme un besoin, une quête de clarifier ses idées, une hygiène de la pensée. Quelle était sa cause à lui ? En fallait-il une, devoir se justifier ?
Laisser une trace ? Oui sans doute. Était-ce suffisant ? Certes non. Peu importait au fond. Il écrivait. C’était ainsi et c’était tout.
On frappa soudain à sa porte. Il entrebâilla celle-ci pour vérifier l’identité de l’importun. Une foultitude d’individus encombrait son palier. Un brouhaha indescriptible et assourdissant s’élevait dans son vestibule. Il tenta en vain de refermer la porte tant cet afflux inopiné et effronté le dérangeait. Ce n’était pas un personnage mais bien un wagon entier d’hurluberlus qui tentaient de pénétrer de force dans sa réalité, jaillissant sans prévenir à la lisière de son conscient et de son inconscient, là où justement il cachait une bonne part de sa vérité d’homme ! Quel foutoir !
Il y aurait du tri à faire !
L’histoire devait commencer sans tarder sinon il ne pourrait plus répondre de rien ! Il se rassit devant sa feuille blanche et commença à griffonner en bougonnant, pressé par l’urgence d’un déni de grossesse littéraire qui l’accompagnait depuis un certain temps et dont la manifestation soudaine nécessitait une urgence obstétrique et stylistique appliquée à l’écriture, un roman émanant de lui-même en l’occurrence, celui de la vie d’un homme de surcroit.
[1] Expérience de Stanley Milgram en 1963 démontrant ce phénomène.