Utilité, rigolo, nouveauté, tardigrade ? Lien entre ces mots ? Aucun, pour un lecteur normalement constitué, mais pas pour Jean Baptiste Filippi, auteur. Ce dernier, désormais rédacteur désigné et assumé des présentes lignes, se demandait s’il pourrait apporter du neuf, à l’univers des éditeurs banquables de romans en tête de gondoles.
La réponse le paralysait. Rien.
Tout au moins espérait-il apporter quelque chose de personnel, ce qui ne serait déjà pas si mal.
Tardigrade. Dans son petit carnet de notes d’auteur où J.B. jetait quelques idées d’écriture, apparaissait donc ce mot, à la suite d’utilité, rigolo et nouveauté. Plus à la façon d’une liste de courses que d’un ferment propitiatoire à une quelconque création littéraire ambitieuse, surtout s’intitulant « La Vie d’un homme ».
« Qu’y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons rose, par n’importe quel autre nom sentirait aussi bon. », se questionnait William Shakespeare.
Qu’y a-t-il dans tardigrade ? Ce que nous appelons tardigrade, par n’importe quel autre nom …,… tentative avortée de Filippi, de paraphraser le grand dramaturge d’outre-manche.
Il y a donc bien un mystère des mots auxquels certains auraient accès, d’autres pas.
Que tel ou tel son, phonème, symbole permettent de se comprendre, par une simple et mutuelle convention entre humains, lui apparaissait hautement improbable.
Dès lors, qu’allaient comprendre ses lecteurs de son charabia. Pire, J.B en présupposant qu’il eût des lecteurs, dans cette hypothèse, iraient-ils jusqu’au bout ? Sa martingale, sexe, aventure, action, humour fonctionnerait-elle ?
Pour certains écrivains, linguistes, ou traducteurs[10], le langage, l’oral, sont des phénomènes qui prennent chair ; pas uniquement de vagues espèces de vapeurs de notes plus ou moins bien modulées et rythmées.
Les lèvres, la langue, qui produisent le langage, le fait de mâcher des mots produit un corps nouveau, une véritable substance physique. Pas étonnant dès lors que les cabinets de certains coachs offrent aux patients l’opportunité de relier tête corps esprit grâce au langage, en les invitant à expérimenter par la parole, une autre définition de ce qui les avait amenés à consulter, afin qu’ils aillent mieux.
Le tardigrade lui, se fout de ces considérations comme de sa première chemise. Il a bien d’autres chats à fouetter. En outre, pour les cruels tardigrades qui seraient tentés de fouetter un seul chat, ils s’exposeraient à se voir grignotés lentement en guise d’apéritif par leurs congénères végans (un tardigrade se nourrit de mousse, alors se gaver d’un autre tardigrade c’est juste se ravitailler avec un produit végétal transformé, non ?)
Je souhaite bien du plaisir aux candidats tardigrades tortionnaires de la gente féline. Ils en prendraient pour leur grade, pardi, car il y a un Dieu pour les chats, et les pères fouettards de ces pauvres bêtes s’exposeraient à des pleurs et des grincements de dents, dentistes s’abstenir.
Bref, d’une longueur (si je puis dire) comprise entre un dixième et un millimètre, il possède des capacités incroyables, le rendant apte à affronter l’univers des mots avec un détachement digne d’une poêle Téfal de concours ! Cet habitant de notre planète peut, par exemple, survivre dans des environnements extrêmement hostiles (températures de −272 à +150 °C), subir des pressions jusqu’à 6 000 bars (certains amis de Filippi, amateurs de bière, supportaient plus) ou encore, privé d’eau et de nourriture, opérer un repli métabolique pouvant durer jusqu’à une trentaine d’années ! (Impossible aux amis de J.B. même surentrainés.)
Mais pourquoi donc vous parle-je de cela ? Moi, you, je, ich pas savoir, cogitait J.B. Filippi. Il fallait qu’il se reprenne, car risquait de perdre son public de deux fans et demi en chemin !
[10] Voir l’excellent documentaire intitulé « Des mots qui restent » de Nurith Aviv