L’amour.
L’écrivain commissaire, l’excellent Jean Baptiste Filippi s’interrogeait, (un flic qui se soumet à son propre interrogatoire, c’était assez inédit dans l’histoire de la police). Après un passage à tabac en règle, le résultat risquait d’être prometteur !
Assurément, une bonne affaire policière, bien croustillante emporterait la préférence de son lectorat. Chausse-trappes, traquenards, filatures, souricières, planques, fusillades, combleraient l’amateur de polar authentique. Mouais…
Il trouvait plus enthousiasmant de lever une partie du rideau sur quelques aventures amoureuses de sa vie intime. Après tout, son public n’était pas de bois, et lui offrir l’opportunité de se projeter en s’identifiant à son personnage amoureux, ne pouvait qu’attirer une nouvelle clientèle, certes friande de péripéties policières, mais dont une gente féminine bien sous tous rapports ne serait pas exclue. Marre des histoires de prostitution et de proxénètes ! Marre de cet univers dominé par des mâles violents.
Certes, un zeste de crime passionnel saupoudré de ci de là avec modération ne nuirait pas à la beauté de l’entreprise.
Dans son esprit se dessinait un scénario teinté de sa vie de couple défaite, blasé des soirées devant la téloche, à la poursuite de frissons érotiques nouveaux, ou bien celui d’un Casanova perquisitionnant, au chevet de jeunes veuves du 18ème arrondissement, auréolé de son ethos de flic.
Par une association d’idée inexplicable sauf de lui-même, la sublime créature au déhanchement dévastateur, repérée déambulant devant le café « Au rêve »[7], composerait l’épisode romanesque et torride numéro 1, dont ses lecteurs réclameraient, à coup sûr, une suite feuilletonesque.
Elle s’appelait Manuella, était argentine. Ils avaient fait l’amour dès leur deuxième rencontre. Un tango des corps, tantôt lascif, tantôt animal. Une extase physique, presque mystique, comme le tête-à-tête de la lessive Bonusque avec le linge sale. Une musique totale, à l’orée du psychique et de l’organique, romantique et charnelle à la fois.
La chambre du petit hôtel où ils se retrouvaient, disposait d’une vue oblique sur le Sacré Cœur. Il faisait beau. S’en suivaient balades, enlacés dans les ruelles de la butte Montmartre…
…Fantasmes, rien de tout cela n’était vrai. Filippi depuis l’enfance manifestait à l’égard du sexe opposé, une timidité qu’il essayait de contrôler, en vain. C’était les femmes qui venaient à lui, selon les phases de la lune, parfois grâce à de mystérieuses forces qui les habitaient, ou encore, au restaurant, suite à une maladresse de sa part, façon j’explose le flacon de moutarde en plastique sur mon pull blanc en le pressant trop fort, appliqué à en faire sortir le produit récalcitrant par un bouchon défectueux inventé par un ingénieur au rabais.
En résultaient éclats de rire, avec danse d’approche de la femme la plus motivée installée au guéridon voisin, munie d’une serviette de table déjà tachée de ketchup mais trempée dans l’eau gazeuse. Méthode de drague au succès relatif.
Parfois, la plus rapide pouvait être une serveuse dotée d’un penchant confus, mélange entre pitié, instinct maternel et libido trouble, cette dernière énergie susceptible de mener la candidate dans le lit du commissaire, selon une loi de probabilité, …improbable justement, et même, improuvable par des mathématiciens nobelisés.
Il avait aussi tenté honteusement quelques filatures impromptues, suivant au débotté telle dame dont la silhouette lui avait plu en marchant dans la rue. Cette technique se soldait généralement par une paire de gifles, plus rarement par une fin heureuse, lorsque les 2 parties trouvaient un accord non tarifé. Il renonça après quelques avances sans suite.
De guerre lasse, il s’était inscrit à des cours anti timidité. Le guru promettait des résultats « garantis » en 10 séances.
La première séance avait mal démarré, chacun devant se présenter aux autres, lui ne sachant s’il fallait dire : « je suis fonctionnaire », avec le risque que la question qui en découlerait logiquement fut : « oui, plus particulièrement ? Les eaux et forêts, la surveillance du littoral ? … ». Avouer d’emblée qu’on est flic à un groupe inconnu, c’est prendre le risque de provoquer à minima, une hostilité latente peu propice à la réussite d’un travail d’affirmation de soi. Surpris par la question, il choisit de dire qu’il était éboueur municipal, se remémorant les applaudissements des confinés du haut des balcons lors de la première période de Covid. (cet à peu près temporel, d’une époque qui n’existait pas encore, alors qu’il écrivait ces lignes, ne le génait pas le moins du monde!).
Premier cours donc, travail sur la voix, en comité restreint de 5 personnes. Il devait prendre des postures monstrueusement inconfortables sur des tapis douteux, sentant la sueur et les pieds, tout en prononçant ou en chantant des phrases du genre : « la voisine du 5 ème est bonne » ou « putain de bordel de merde » en crescendo puis en decrescendo. Une méthode Coué modernisée aux allures de mantras tantriques de cheval.
La voix était sensée alors s’affirmer, prendre un velouté harmonieux et assertif, reflétant l’être profond et bienveillant qui caractérise l’espèce humaine. Un atout anti timidité imparable !
Les séances s’achevaient par des débriefs téléphonés du genre : « alors vous avez bien senti la différence ? », l’animateur prenant à témoins les autres participants qui n’osaient dire le contraire puisqu’ils étaient trop timides ! Un « non » aurait garanti une foudre immanente sur l’individu contestataire, ce dernier se censurant à l’avenir de toute autre velléité critique.
Ayant payé d’avance, il alla jusqu’à la dernière réunion d’un pack de 5 puis s’enfuit lâchement afin d’esquiver la sixième, sans plus donner de nouvelles.
Flop total ! Trou noir cosmique. Electro encéphalogramme de sole meunière.
[7] Voir page 12