Dans la rue, les femmes arboraient leurs tenues d’été. Elles étaient si belles, sachant se mettre en valeur, sentant bon. Des multitudes de fleurs laissant derrière elles toutes sortes de traces olfactives qui attireraient la vie dans leur sillage. Il n’y aurait aucune forme de vie sur terre si la sexualité ne poussait les espèces à l’aventure incertaine de la rencontre.
La vie ordinaire (celle du démarrage de l’enquête après la découverte du mort) reprenait son cours. Peut-on d’ailleurs parler « d’ordinaire » s’agissant de la vie. L’existence humaine semble être plutôt l’exception aussi loin que les télescopes puissent voir.
Fort de ses cogitations, Jean Baptiste Filippi se sentait l’âme libertine tout en savourant un expresso bien tassé à la terrasse du café « Au rêve », celui même où Jacques Brel venait passer des heures non loin de son amoureuse, résidant au 40 de la rue Caulaincourt.
Il méditait sur sa condition de célibataire lorsqu’une créature magnifique en robe légère traversa son champ visuel en lui décochant un sourire magistral ; un calibre top moumoute selon son hit-parade personnel. Le temps que son usine à fantasmes repasse en jour de récup, la beauté quarantenaire avait disparu de son paysage audiovisuel intime.
Il s’imagina la revoir en se postant, même place, même heure, chaque jour à venir de la semaine en cours, ce qu’il ferait assurément.
Se trouvant proche du domicile de feu David Bensard et muni de la clé de l’appartement, il décida d’y faire un tour, histoire d’y humer une nouvelle ambiance exempte d’odeurs de cadavre. Erreur, il lui fallut ouvrir les fenêtres, créer un courant d’air frais, afin d’évacuer des remugles non dissipés de décomposition de la dépouille de celui qui avait désormais rendu le bail de son tombeau improvisé.
Filippi s’assit dans un fauteuil face à celui du mort et regarda autour de lui, s’imprégnant de l’âme des lieux. Il ressentit comme un malaise empreint d’une forte négativité. Difficile à interpréter à ce stade de l’enquête. Il opéra un regard circulaire quand celui-ci fût attiré par un livre sur une étagère qui servait de bibliothèque. L’instinct du flic. Il se leva et s’en saisit. Le Mein Kampf d’Adolf Hitler dans une édition dédicacée de 1925. Une feuille pliée en quatre y faisait office de marque page. Il la déplia.
Il ne put réprimer un rictus nerveux en la parcourant.
Pendant ce temps-là, l’inspecteur Dusautoir, lui, avait un boulot de dingue avec ce fichu cadavre de la rue Caulaincourt ! Il maudissait en vrac, les macchabés sans livret de famille, les rapports d’autopsies bâclés, les lenteurs de l’administration, ainsi que ce putain d’ordinateur qui ramait comme un galérien comateux relié à un respirateur artificiel.
Non seulement, il devrait effectuer un tri colossal dans les affaires du mort, mais en plus il était supposé rechercher un lien entre celui-ci et une famille fantôme ! Cette perspective le minait.
C’est cet instant suspendu que choisit le commissaire Filippi pour faire une entrée fracassante dans son désarroi. Il y a un dieu pour les flics laborieux. Il lui tendit un papier jauni avec pour seule commentaire :
-vous me faites un scan de ce document et vous vous rapprochez des archives du mémorial de la Shoah voire de Yad Vashem s’il faut !
-Y’a d’quoi … ?
Le commissaire avait déjà tourné les talons abandonnant Dusautoir en proie à une perplexité abyssale. Après tout, ils n’étaient pas généalogistes dans la police, et David Bensard décédé consécutivement à un arrêt cardiaque selon l’autopsie, ils pouvaient classer le dossier, non ?